Audiences à la Cour suprême de l’affaire Dell

[Ce billet fut initialement publié sur les blogues Slaw et Chaire de l’UDM en droit de la sécurité et des affaires électroniques. Il est republié içi avec la permission de l’auteur.]

Mercredi, 13 décembre, j’ai réparé un manquement pour tout juriste canadien qui se respecte: je suis allé pour la première fois à la Cour suprême. C’était bien sûr à l’occasion des audiences de l’affaire Dell Computer c. Union des consommateurs [docket] dont j’ai déjà abondamment parlé ici et . Une affaire passionnante et complexe que je me permets de résumer par quelques points, énumérés, en vrac.

1) Sur la forme d’abord, c’est avec beaucoup de jalousie que je voyais les procureurs se débattre, plusieurs avec beaucoup de talents, dans ce travail de conviction face à des juges forcément aguerris et très bien préparés. Le défi que je ne pressentais pas a priori est que, notamment pour les intervenants, il est impératif en pareille occasion de parvenir à identifier les points que l’on ne veux surtout pas omettre de présenter. Les juges, posant des questions fort précises et fort nombreuses, interromptant les avocats, plusieurs se sont en effet fait prendre au piège du «gong», manquant de temps pour traiter tous les points allégués. Même si les mémoires écrits sont là, il importe donc, et ce n’est pas facile, d’être capable de se repositionner sur ses priorités.

Un bel exercice de conviction donc; une belle image de la justice aussi.

2) Sur le fond, j’ai particulièrement apprécié les interventions, qui suscitèrent diverses commentaires / questions de la part des juges. Deux furent quasi-récurrentes.

– Est-ce au juge ou au législateur de traiter de la question d’arbitrabilité de la consommation?

Une question majeure reprise par plusieurs juges (Bastarache, Charron, etc.) et par plusieurs intervenants (Mes. Bienvenu, Martin, etc.). Une question qui se comprend d’autant mieux dans une perspective où le projet de loi 48 est à l’étude, évacuant la question doctement en rendant inapplicable, sauf consentement ultérieur, les clauses compromissoires dans les contrats de consommation.

La personne qui je pense a évoqué avec le plus d’affirmation cette question est la professeure Goudreau considérant que répondre à cette question correspond à «l’exercice normal de la Cour.»

En effet, ce n’est pas parce qu’un législateur a éprouvé le soin de régler ce débat que cette intervention législative est forcément en rupture avec le droit précédent. D’autant que le projet de loi est une étape d’un processus très lourd, lent, qui dure depuis plus de 10 ans. L’agenda législatif est simplement différent et n’avait pas mis cette question à l’ordre du jour.

Et puis les juges servent notamment à introduire de l’équilibre entre des matières qui n’étaient pas, lors de leur création, confrontées l’une par rapport à l’autre. Conformément à ce que j’appelle le syndrome de la «cloche à vide», le recours collectif et l’arbitrage sont deux ballons qui ne cessent de croitre. Deux domaines à la mode dont l’expansion est sans limites, la seule limite étant l’autre. Ainsi, lorsque vous mettez deux ballons vides dans une cloche à vide, plus le vide se fera, et plus les ballons vont gonfler. La seule limite est constituée par le grossissement du second ballon. Or, cette confrontation n’avait jamais été pressentie par le législateur. Elle ne pouvait d’ailleurs pas l’être. Et ce m’apparaît donc être dans l’ordre des choses que les juges de la Cour suprême tranchent sur cet ordre public en particulier. Un concept de surcroît suffisamment flou pour bénéficier une fois de plus des lumières de cette institution.

– N’est-il pas dangereux avec 1435 CCQ d’imposer un standard de mise à la connaissance exprès à tous les contrats d’adhésion?

Plusieurs intervenants et notamment Me. Stéfan Martin, on fait état qu’il était contestable d’imposer une connaissance trop franche dans les clauses externes aux contrats d’adhésion. D’abord parce que ces procédures arbitrales ne sont pas une clause, mais un document. Ensuite, parce que de multiples contrats commerciaux utilisent ce procédé afin de ne pas rendre les contrats trop longs, et ce, par exemple dans les contrats de franchise, de vente, de distribution, de propriété intellectuelle, etc.

Il est vrai que le CCQ traite indistinctement des contrats de consommation et des contrats d’adhésion. Sauf qu’il est possible d’apporter la même «médecine» que vu précédemment à cette prétention, à savoir, ce n’est pas aux juges d’interpréter un texte clair qui met de l’avant un nouveau standard de mise à la connaissance.

Quand aux autres contrats commerciaux qui utilisent des clauses externes, dans l’absolu, il est fort louable. Mais en l’occurrence, j’ai un peu de misère à appliquer un argument «d’économie contractuelle», à savoir, les clauses externes sont un moyen de ne pas faire des contrats trop longs, à une hypothèse, le contrat Dell qui est déjà extrêmement long. Comment appliquer ici une justification de «coûts de transaction» à un contrat qui se perd en clauses inutiles, parfois mêmes ridicules. L’argument aurait pu être utilisable si des efforts de mise à la connaissance avait été entrepris par Dell dans ses contrats. Comme le dit d’ailleurs la juge Lemelin, c’est tout le contraire.

Cette clause est rédigée en plus petits caractères et elle se retrouve au bas de la page. Le but avoué de cette méthode d’affichage est de ne pas détourner l’attention de l’utilisateur de l’essentiel, soit l’achat du produit.

Sinon, de longs débats eurent lieu sur l’arbitrage lui-même, et notamment le principe compétence-compétence, le concept d’ordre public au regard de 2639 CCQ, la définition d’autorité; autant de questions, que faute de temps, je ne peux développer ici. En fait, une bonne partie des débats portèrent sur ces questions.

En revanche, presque rien sur le consentement. Les avocats de Dell ne le mentionnèrent quasiment pas (il est vrai que j’ai manqué le premier 20 minutes) alors que c’était sans doute à eux de le faire; les avocats de l’Union des consommateurs se limitèrent à dire que le consentement électronique est différent du consentement traditionnel. Sans plus. Me Goudreau, pour le Cippic, n’a pas eut le temps de développer comme ils le firent dans leur mémoire. Encore une fois, surtout dans une perspective de changement de la LPC, il s’agissait d’une des grosses questions en jeu.

à suivre donc, sans doute vers la fin du printemps… pour l’arrêt cette fois. Ensuite, on pourra tenter de régler la question au fond.

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